Переводы/Translations
- Details
- Hits: 4779
Lina
Elle était toujours assise sur la même chaise près de la fenêtre. Pendant le déjeuner et le dîner (il paraît que pendant les petits déjeuners elle ne se réveillait pas à temps). Elle regardait toujours quelque chose attentivement par la fenêtre. Ce qui se passait dans la rue s’amusait. Pendant ce temps là, la nourriture se refroidissait. Elle en était très étonnée. Mais après elle mangeait tout. Elle avait un bon appétit.
Il l’a remarqué tout de suite, mais pendant longtemps il hésitait à venir vers elle. Alors qu’au début il ne voulait pas trop faire connaissance avec quelqu’un. Parce que pendant les premiers jours il avait une apathie bizarre: il ne voulait rien faire, ne faire connaissance avec personne et ne voulait pas vivre. Le monde autour de lui a changé brusquement et il s’est dispersé dans des nouveaux sentiments. Ses sentiments étaient effectivement nouveaux et inhabituels même s’ils ont commencé depuis déjà six mois. D’abord le côté gauche de sa poitrine lui faisait très mal. Après il a eu le sentiment qu’il avait reçu une décharge d’électricité dans son bras gauche. Ce qui était bizarre c’est que cette « décharge » d’électricité est restée dans le bras. Le mal était tantôt aigu tantôt lourd et gênant. Mais ce mal ne passait plus. Le bras a commencé à mal marcher. Et on ne sait pas pourquoi, mais l’index a commencé à être douloureux. Comme si toute cette électricité s’accumulait dans son doigt.
Et après, sur le dos et sur la poitrine des endurcissements – les médecins lui ont dit ce que c’était – le diagnostique a été pour lui une nouvelle parce qu’il pensait toujours qu’il avait une pneumonie des deux côtés depuis longtemps. Depuis l’Afghanistan. Mais quelques jours se sont passés et petit à petit il a commencé à s’habituer à son nouveau diagnostique. Comme autrefois il s’habituait à marcher avec la colonne vertébrale traumatisée, des éclats sur les jambes et faire des massages aux patients avec son bras endommagé. Pour s’éloigner un peu de ses pensées tristes, il est parti dans la maison de campagne de sa sœur presque tout l’été. Et en deux mois il lui a construit une petite maison d’été dont elle rêvait déjà depuis longtemps. Ce n’était pas pratique de travailler avec un seul bras mais comme on dit, l’homme s’habitue à tout. Il n’arrivait pas toujours à se sentir un homme. Le plus souvent il se sentait comme une machine brisée et mutilée. Vers l’automne son état s’est empiré. Il a du revenir à Moscou. Et c’est là que soudain il l’a vue. Et tout d’un coup, il s’est senti à nouveau un homme.
C’est à ce moment là qu’il a décidé absolument de faire sa connaissance. Mais à côté de la fille il y avait toujours quelqu’un. Elle regardait son locuteur avec admiration, de temps en temps elle demandait à répéter et elle était sincèrement étonnée de ce qu’elle entendait comme réponse. D’abord il a pensé que tous ces gens là sont ses copains ou de vieilles connaissances. Mais après il a compris que c’est son style habituel de communication avec tout le monde: les gens connus et inconnus. Tout simplement, son entourage et les gens qui y habitent, elle les considérait comme quelque chose d’extraordinaire et étonnant. Ca lui semblait un peu étrange. Mais quand même, pendant le déjeuner, il s’est approché vers sa table et lui a demandé la permission de s’asseoir à côté d’elle. Elle a alors levé sur lui ses yeux admiratifs.
- Assieds toi ! Bien sûr, assieds toi!
Elle tutoyait tous ses interlocuteurs. Quand il s’est assit elle l’a regardé attentivement dans ses yeux.
- Quels yeux extraordinaires tu as!
- Lesquels?
Elle a réfléchit pendant un instant comme ci elle se souvenait de quelque chose de très lointain et agréable.
- Bleus. Ils ressemblent aux lacs comme en Australie.
- Tu as été en Australie?
- Non je n’y suis jamais allée. Mais je sais que là bas les lacs sont comme tes yeux: bleus et sans fond. Et très beaux.
Elle a dit ça avec une telle facilité que lui était gêné de cette spontanéité inattendue.
Après ils se sont promenés longtemps dans le centre, parfois ils descendaient vers la Moskova. Elle se dorlotait sous le soleil, lui mettait ses mains sous le soleil pour attraper ses rayons. Elle ne voulait pas du tout que l’hiver arrive. Elle disait que quand le froid arriverait elle ne serait plus là.
Elle était très observatrice. Elle l’étonnait toujours par ses petites découvertes : ayant remarqué sur le trottoir la chenille de couleurs différentes (d’où elle vient à la fin de l’été?!) ou une plante rare sur le gazon. Elle l’étonnait par son sens de l’humour très fin et son intelligente profonde. C’était intéressant avec elle. Elle se plaignait souvent qu’une maladie l’avait empêché d’étudier à l’université d’Etat de Moscou. Elle disait qu’elle y avait toujours rêvé d’y faire ses études. Et après elle lui parlait du poisson goutte ou de quelque chose d’autre de merveilleux et extraordinaire. Mais parfois quand elle ne se sentait pas très bien, elle avait la flemme de parler et de faire des phrases longues. Elle préférait répondre à ses questions de manière brève. Par un long «Ouais» (au lieu de «oui») ou «nan». Ou elle utilisait que les verbes simples «caresser», «enlacer» et «embrasser».
Elle aimait beaucoup enlacer et embrasser. A chaque minute et à chaque instant. Au milieu du bureau, dans l’ascenseur, dans la rue. Elle lui donnait sa joue pour une bise et elle disait avec une voix d’une petite fille capricieuse et exigeante «embrasser». Ou elle s’arrêtait au milieu d’un couloir et elle se frottait contre lui avec tout son corps et lui disait «enlacer!». Mais ce qu’elle aimait le plus c’est l’embrasser elle-même. Pour lui c’était un peu gênant de l’embrasser et de s’enlacer avec elle devant tout le monde. Même s’il remarquait comment se retournait les visiteurs et le personnel médical. Et il remarquait que certaines femmes, dans ces moments là, essuyaient leurs larmes en cachette. Mais quand même, un homme de quarante ans avec des cheveux blancs qui pouvait être son père, il était gêné de montrer ses sentiments et ses émotions. Mais elle ne vivait que par ça.
Au début elle était très étonnée qu’il ne la regarde pas dans les yeux. C’était difficile pour lui de lui expliquer que c’est l’habitude qu’il lui reste depuis la guerre. Surveiller du regard attentivement tout ce qui se passe autour. Tout ce qui peut présenter le moindre danger. C’était une habitude dont il essayait de se débarrasser depuis plusieurs années. Mais il n’a jamais pu. Il ne pouvait pas lui expliquer tout ça. Il expliquait que tout simplement il avait peur de la perdre même s’il savait qu’il ne faut pas en avoir peur. Parce que combien de fois ses amis lui disaient: L’altiste Danilov et l’écrivain Orlov disaient que celui qui a peur n’est pas performant en amour. Ca lui était égal d’être performant ou pas? Mais il avait peur quand même. Et à ce moment là, elle prononça une des phrases les plus longues de cette journée.
- Regarder. Toujours. Sur moi.
Et aussi elle aimait ses récits et exigeait qu’elle parle le plus possible de lui-même. Et il lui raconté ce qu’il n’avait jamais raconté à personne dans ce monde. Comme un jour, à la guerre il a eu peur d’un petit serpent avec un nom ridicule et drôle «Strelka». (il ne manquait plus que «Belka!»). On l’avait envoyé en renfort sur un poste de garde. Selon les informations de nos services secrets, l’ennemi préparait une attaque sur ce poste de barrage. Deux jours sont passés dans cette attente épuisante. A l’aube du troisième jour, quand il est devenu clair qu’il n’y aurait pas d’attaque, il s’est endormit dans sa pose de combat. Il s’est réveillé quand quelque chose est tombé sur lui du filet de masquage. La mitraillette s’est retrouvée elle-même dans ses bras. Pas encore trop réveillé et de peur, il a vidé son chargeur sur le serpent avant de l’avoir.
Et comment une fois il a du passer une nuit sur la glace avec son équipe d’éclaireurs. Ils n’étaient pas habillés pour la «saison». C’est pourquoi, pour que les éclaireurs n’aient pas froid, il a du leur faire construire toute la nuit des constructions pour tirer à la mitraillette. Lui-même a construit le même pour lui. Pas parce qu’il attendait l’attaque de l’ennemi à l’aube. Tout simplement il est habitué à communiquer avec eux comme «fais comme moi» mais pas «comme j’ai dit». Et aussi parce que lui-même avait très froid. Il avait très honte de penser que ces éclaireurs le devinent. Parce qu’il était leur commandant. Et le commandant ne peut pas avoir froid.
Il avait 22 ans à l’époque. Comme souvenirs de cette époque là, il lui restait une décoration de l’étoile rouge «Médaille du courage», les jambes cassées, et une pneumonie des deux côtés. Mais de ça, il ne lui en a jamais parlé.
Parfois elle se souvenait de la chatte Lisa, du chat Vaska et le rat décoratif avec le nom de famille Tikhnenko qui restaient chez elle. Elle regrettait qu’il n’y ait personne pour prendre soin d’eux quand…Ils essayaient de ne jamais en parler. Même si contrairement au nombre de gens vivants sur cette planète, ils savaient très bien qu’ils n’allaient pas vivre éternellement. Que le prochain hiver serait le dernier dans leur vie. Même si les médecins disaient que s’ils suivent leurs recommandations et respectent les prescriptions, ils vont vivre encore 6 mois. Mais tout le monde comprenait très bien que même un miracle ne pouvait plus les aider. Les médecins et eux-mêmes le comprenaient.
C’est pourquoi un soir, ils ont décidés de s’enfuir. Bien sûr ils pouvaient tout simplement écrire une attestation et quitter tout à fait officiellement le centre oncologique. Personne ne les retiendrait de force. Surtout avec un diagnostique comme ça. Mais la fuite était une aventure pour eux. Par contre les attestations et les certificats étaient simplement la prose stupide de la vie. Ils ne voulaient pas la prose mais l’aventure ! Ils voulaient respirer à pleins poumons. Ils voulaient que le vent souffle sur toutes les voiles. Pour que le soleil brille et qu’il fasse toujours beau. Et pour que la musique joue tout le temps. Même si elle n’aimait pas quand la musique jouait trop fort.
Samedi après le déjeuner, comme d’habitude, ils sont descendus en bas avec l’ascenseur. Mais au lieu d’après se promener vers la rivière, ils se sont dirigés directement vers la station de métro la plus proche. Heureusement que jusqu’à Kachirskaya ce n’était pas loin. Déjà 40 minutes après ils étaient chez lui. Et déjà dans le couloir elle a dit «aimer!» Et la douleur est partie quelque part. Et les forces sont venues de quelque part. Et lui-même était étonné de lui. Parce que la journée s’est transformée en nuit. La nuit s’est transformée en journée et eux ne sont pas sortis du lit. Seulement rarement, en allant vers le frigo et en mangeant quelque chose rapidement.
Parfois il essayait de s’enfuir d’elle dans une autre pièce - il avait besoin de finir quelques affaires importantes -. Il avait peur de ne pas avoir le temps de les finir. Et elle, en était très étonnée. Parce qu’elle savait exactement que toutes les affaires c’est le va et vient. Et l’amour c’est la seule chose pour laquelle il faut vivre dans ce monde.
- Tu sais, elle a dit une fois, il me semble que beaucoup de ce que nous considérons d’important aujourd’hui ne sera plus important quand on ne sera plus là. Parce que même quand on va au travail, on y va seulement pour travailler. Mais pourquoi? Pour quelle raison? Tout ça c’est parce qu’on ne sait pas aimer. On ne sait pas aimer notre travail. On ne sait pas s’aimer l’un l’autre. Aimer sa famille et ses proches. Seulement quand on l’apprendra il y aura du sens dans ce qu’on fait. Et dans ce qu’on laissera après nous.
- Tu comprends ?
- Je comprends, a-t-il répondu. Même si à ce moment là il comprenait à peine la profondeur de son idée. Mais cette idée ne le laissait pas tranquille. Elle le voyait et plissait le front. Ca ne lui plaisait pas quand il pensait à quelque chose d’autre qu’elle. Et dans ces cas là elle disait «baigner» et il l’a frottait longtemps avec une éponge sous la douche. Après elle disait «caresser» et il lui faisait le massage une, deux ou trois heures. Elle disait «enlacer» et il restait couché longtemps à côté d’elle en l’enlaçant. Elle disait «aimer…».
Et la nuit il a vu un rêve bizarre. Il a rêvé d’Apollon et d’Aphrodite. Les dieux d’une tribu extraordinaire vivants en Afghanistan. Dans cette tribu on considérait que quand on fait l’amour on utilise une énergie divine, qu’il faut réaliser dans la Création. A ses yeux, au nom de leurs dieux, ce n’était pas de nouvelles églises qu’ils dédiaient mais de nouvelles forêts. Et au lieu des immeubles, depuis le début ils ne construisaient que des maisons pour les jeunes mariés. Ils ne faisaient jamais la guerre et étaient des travailleurs et des créateurs.
Et ensuite il a rêvé du Valhalla et de ses amis qui sont morts. Ils étaient assis avec lui sur une grande table de bois et buvaient du vin et discutaient. Sur la tête de la table il y avait la tête du guerrier Odin. Odin disait qu’il lui a appris beaucoup de choses. Qu’il est un bon élève et un véritable guerrier. Et que pour le service fidèle à son pays et son peuple on peut lui offrir la vie. Comme une énorme récompense mais tout à fait méritée. S’il le demande. Et il lui a demandé de lui offrir la vie.
Le matin il s’est réveillé de merveilleusement bonne humeur. La première fois depuis beaucoup d’années, il n’avait mal nulle part. Il s’est souvenu de son rêve. Tout d’un coup il a pensé que pendant sa longue vie il a apprit à faire la guerre, tuer et détester. Aujourd’hui à côté de lui dormait la fille qui lui a apprit à aimer. Il l’a embrassé. Elle a sourit dans son sommeil et elle s’est étirée vers lui de tout son corps. Il savait qu’Odin ne serait pas vexé de sa demande. Il l’exaucera. Parce que cette demande n’était pas un mensonge et ça ressemblait à une petite malice de guerre. Parce que, ayant mendié une vie, il en a sauvé deux maintenant. Non Odin ne sera pas vexé ! Parce qu’il était guerrier lui-même. Il n’était pas embêtant.
Lina a vécu encore 51 ans. Elle a réalisé son rêve : elle a fini l’université. Elle s’est mariée. Et son premier fils, elle l’a appelé en souvenir de lui: Serge.